Tribune contre l'intégration des LVA dans les schémas d'organisation

Évènement

17/11/2025

TRIBUNE – LIEUX DE VIE ET D’ACCUEIL : PROTÉGER UN MODÈLE UNIQUE FACE À LA RÉFORME DE LA PROTECTION DE L’ENFANCE

 

Depuis des années, les départements font ce qu’ils peuvent, pour répondre à une demande exponentielle, avec des équipes épuisées et des budgets contraints. Dans ce contexte, les Lieux de Vie et d’Accueil – des maisons ouvertes par des citoyens qui accueillent chez eux des enfants ou des adultes en difficulté – se retrouvent à la fois très sollicités, parfois instrumentalisés, et aujourd’hui menacés par des réformes inadaptées.

Ce n’est plus une hypothèse : à la demande notamment de l’Assemblée des Départements de France (ADF), la DGCS et l’IGAS travaillent sur une intégration des LVA dans les schémas d’organisation, essentiellement départementaux, de la protection de l’enfance. Nous nous y opposons fermement. Pourquoi ?  En plaçant les LVA dans un lien de subordination avec les départements, et dans une logique d’appel à projets, cette réforme leur ferait perdre leur capacité d’initiative –élément clé de leur fonctionnement qui explique en partie leurs résultats auprès des publics les plus complexes.

Nous plaidons pour une réforme lucide : appliquer les lois existantes, élever le niveau d’exigence lors des autorisations d’ouverture, garantir la transparence et les contrôles, sans dénaturer un modèle qui repose sur une autonomie responsable.

Pour y voir clair : trois familles de LVA, trois logiques… un seul cadre à respecter

 

1) Les LVA d’initiative citoyenne et autonome

Ce sont des projets portés par des personnes qui engagent leur vie autant que leur métier. Ici, le permanent responsable n’est pas “remplaçable” : il incarne un projet éducatif et de vie. Cette singularité n’exonère personne des règles. Nous l’affirmons : liberté ne vaut pas arbitraire. Contrôles, traçabilité, respect du CASF – oui, pleinement. Mais en tenant compte d’une réalité irréductible : un lieu de vie est aussi un domicile et le foyer des responsables permanents.

Exemple éclairant : en cas d’arrêt maladie, le permanent demeure chez lui et donc dans le lieu – il ne lui est pas possible “d’effacer” sa présence comme on fermerait la porte d’un bureau. Et c’est précisément ce tissage entre vie personnelle et travail qui fait la force (et l’exigence) des LVA.

 

2) Les LVA “reconvertis” post-loi Taquet

Depuis 2021–2022, un grand nombre de structures non conformes (hébergements divers, gîtes, lieux mal autorisés), ont été “converties” en LVA pour éviter des fermetures massives. Les exigences posées lors du changement d’autorisation n’ont pas toujours été à la hauteur : des porteurs improvisés, peu ou pas formés, sans réseau, des projets éducatifs fragiles... Cette vague a impacté la qualité existante des LVA et a été à l’origine de nombreuses remontées de défaillances dont certaines très graves.

 

3) Les LVA “affiliés”

Créés par de grands groupes (type Labonde, SOS, PEP, Anvie…) souvent à la demande des départements, avec souvent des tarifs très élevés (jusqu’à 1 000–1 200 € par jour), ces LVA ont un fonctionnement de type ESSMS. Ils sont parfois impactés par les mêmes problématiques : turn-over important, utilisation parfois de l’intérim, absence de la dimension du domicile et de la famille...

Exemple significatif en Mayenne (53) : Domino créé une association, « Liberi » qui gère 3 LVA dont l’un avec un prix de journée de1200 euros/jour/enfant. Un employé témoigne que le personnel est constitué principalement d’intérimaires très rarement diplômés. Force est de constater que cela ne marche pas. Et pourtant Liberi est présents dans plusieurs départements, ce que dénoncent de nombreux acteurs, dont la CNAPE.

Ce basculement explique en partie les dérives abondamment illustrées dans la presse ces derniers temps.

-La réponse n’est pas d’enfermer tout le monde dans les schémas d’organisation départementaux mais d’élever partout et pour tous, le niveau d’exigence et d’appliquer les règles de manière égale.

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Pourquoi l’intégration aux schémas est une fausse bonne idée

- Perte d’initiative et d’efficacité : l’appel à projets piloté par les départements réduit la diversité et la créativité des LVA. Or, c’est l’initiative du porteur – sa compétence et son ancrage de viequi permet d’accueillir des situations fines et de tenir dans la durée.

- Confusion des finalités : faire des LVA une simple variable d’ajustement dans la “gestion de places” revient à nier leur nature d’habitat-projet, avec un engagement personnel fort. On ne gère pas une maison comme un service.

- Risque d’effets pervers : si les départements veulent créer des places “chez eux”, qu’ils le fassent via les outils des schémas. Ne dénaturons pas les LVA pour compenser les lacunes d’offre ailleurs.

S’agissant des LVA, la maitrise du territoire par les collectivités territoriales passe par les contrôles et non par le schéma, Mr Darmanin l’a lui-même réaffirmé.

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Nos propositions

1) Appliquer les lois existantes, en priorité sur la tarification

- Faire respecter partout les textes de tarification : trop de LVA restent bloqués à 14,5 SMIC sans reconnaissance du forfait complémentaire, alors que la nature des projets le justifie. C’est la source de déséquilibres majeurs, d’injustices et de découragements.

- Évolution à prévoir : sécuriser juridiquement l’accès aux forfaits complémentaires (droit opposable sous conditions vérifiables), pour mettre fin aux refus systématiques et aux pratiques disparates entre départements. Transparence des décisions de tarification, motivation écrite et voies de recours claires.

2) Durcir le régime d’autorisation pour élever le niveau d’exigence

- Vérifier l’existence d’un porteur de projet réellement résident sur place. Un LVA n’est pas un “site” géré à distance : c’est un domicile. L’absence de porteur résident fragilise structurellement l’accueil.

- Introduire une évaluation graduée des compétences et de l’expérience selon le niveau de complexité du public visé (exigences distinctes pour accueil “classique” versus accueil avec polyhandicap, troubles sévères etc.).

- Exiger un projet éducatif et de vie détaillé : partenariats, scolarité ou dispositifs médico-sociaux, continuité de présence, modalités en cas d’arrêt maladie du permanent, gestion des crises, astreintes et remplacements.

- Mettre fin aux montages qui externalisent le cœur du projet : interdire que des agences d’intérim ou des structures purement gestionnaires ouvrent des LVA avec un personnel composé d’intérimaires non diplômés. La loi doit rendre ce type d’organisation impossible.

- Encadrer les délais d’instruction sans permettre l’enlisement : clarifier les motifs légaux des refus, mais éviter qu’une réforme transforme les délais actuels en silence “infini”.

 

3) Contrôles, qualité, transparence : un cadre national, lisible et équitable

- Référentiel national de contrôle : contenu, fréquence minimale, traçabilité, et publication d’indicateurs agrégés.

- Co-responsabilité des utilisateurs : le département qui place un jeune hors de son territoire doit lui aussi participer au contrôle de ce LVA. Utiliser une place implique d’en assumer une part de responsabilité.

- Cartographie nationale actualisée des LVA : qui accueille qui, où, avec quel projet et à quel prix. Une mission indépendante (type IGAS) doit objectiver les pratiques, distinguer clairement les trois familles de LVA et éclairer les décisions publiques.

 

4) Encadrer les séjours de rupture… pour protéger aussi les LVA

La FNLV est favorable à un cadre dédié aux séjours de rupture. Le vide actuel nuit aux jeunes et entache l’image des LVA. Un référentiel spécifique, des habilitations ciblées et des contrôles adaptés sont nécessaires.

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La FNLV reste disponible pour construire cette réforme avec tous : DGCS, IGAS, parlementaires, départements et partenaires. Mais nous ne transigerons pas sur l’essentiel : l’autonomie d’initiative et la qualité d’accueil qui font la singularité des LVA.

 

Fédération Nationale des Lieux de Vie et d’Accueil (FNLV)

secretaire.general@fnlv.org | 07 87 80 25 96 | www.fnlv.org

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